
« On ne voit que ça les nuages, expression de vie, peut-être de toute vie », « Le paysage, c’est l’étendue de ce qui se tient sous notre regard. Pour les non-voyants c’est ce qui se trouve sous l’étendue de tous les autres sens »… Dans le paysage de l’île d’Aix, nous irons à la rencontre de huit citations de Gilles Clément et de son nouvel abécédaire.
Un abécédaire insulaire imaginé à partir du vocabulaire propre aux singularités de l’île, élaboré avec le concours des habitants de la lettre A comme : « Ailleurs, point de débarquement sur l’île. Ici est ailleurs » …à la lettre Z : « Zostères, algues vertes dont les laisses forment le varech », en passant par D : « Digue, construction offerte aux éléments naturels. Digue dingue : mur opposé aux mouvements de la mer », ou encore N : « Napoléon, jardinier intermittent capable de greffer un frêne sur un orme ».
Dans le Fort Liédot, le regard de Gilles Clément prend en considération l’île d’Aix dans sa totalité à travers une cartographie sensible des espaces tant terrestres que marins constituée de cinq cartes. Ces cartes contribuant au développement d’une pédagogie de valorisation des espaces livrés à eux-mêmes comme partie prenante du jardin-paradis… planétaire.
La première carte est établie par le lycéen Issey Rautureau et révèle les terrains de l’île d’Aix colonisés par une friche jeune, une friche armée ou des arbres.
Dans quatre autres cartes Gilles Clément nous conduit :
– à la découverte du Tiers-Paysage et des espaces anthropisés de l’île d’Aix
– à la diversité des biotopes naturels et des milieux anthropisés.
– au repérage des arbres remarquables par leurs statures ou leurs comportements anémomorphosés et au cheminement vers son abécédaire tout autour de l’île. Les arbres remarquables remarqués par Gilles Clément et photographiés par Olivier Boé prendront place sur les murs du fort.
– la 4e carte dessine le jardin du possible imaginé pour l’île d’Aix, préfigurant des projets de jardinage de ressources, d’énergie et de savoirs… Elle met en mouvement et pose un nouvel horizon de jardins vivriers, de jardins du vent, de jardin d’eaux, de collecte d’énergie, d’Ecole du Jardin Planétaire. Gilles Clément ouvre et invite l’imagination à la créativité collective pour améliorer de manière réaliste la réalité actuelle de l’île.
Nous ferons connaissance de la flore spécifique aux biotopes de l’île d’Aix et l’île Madame, à travers un ensemble inédit de 20 plantes dessinées par Thérèse Rautureau, retranscrivant admirablement comme le souligne la botaniste Véronique Mure le génie naturel et les stratégies misent en œuvre par le règne végétal, cher à Gilles Clément, de l’appareil végétatif au système racinaire.


Parce que l’esprit de transmission et du partage des connaissances du vivant est à l’oeuvre sur l’île d’Aix et l’île Madame, un chapitre de l’exposition est consacré à l’École du Jardin Planétaire* imaginée par Gilles Clément. Trois antennes ont vu le jour en 2012 à Viry Chatillon, en 2014 sur l’île de la Réunion par le paysagiste Sébastien Clément et en 2017 à l’UFR de Lettres de l’Université de Limoges par la sémiologue Nicole Pignier.
Les Ecoles du Jardin Planétaire sont des universités libres à ciel ouvert et alternatives s’appuyant sur une diversité d’individus créées pour apporter aux citoyens une base de connaissance sur le vivant et le cultiver collectivement.
Jardin signifie enclos et paradis. A travers des exemples de jardins de Gilles Clément on approche trois concepts majeurs de la pensée fondatrice d’une écologie humaniste du jardinier : le Jardin Planétaire, le jardin en mouvement, le Tiers-paysage.
Le jardin planétaire c’est pour Gilles Clément la planète Terre considérée comme un jardin : un jardin limité à sa finitude spatiale et biologique comme un jardin est limité à son enclos ; un jardin aux espaces artificialisés et anthropisés ; un jardin riche de son brassage et mélange d’espèces exogènes et endogènes. Alors comment au sein de cet enclos exploiter la diversité sans la détruire, condition de notre survie?
Le Jardin en Mouvement est issu de sa pratique dans son jardin à la Vallée dans la Creuse. C’est un espace de vie laissé au libre développement des plantes qui s’y installent. Il s’agit pour le jardinier d’observer le déplacement physique des espèces sur le terrain, d’accompagner les manifestations du génie naturel des espèces en présence, orienter la libre croissance des plantes, en somme faire le plus possible avec, le moins possible contre la nature.
Le Tiers-Paysage c’est la somme des espaces en déprise ou en réserve. Un ensemble hétérogène accueillant la diversité chassée de partout ailleurs. Si l’on admet que l’humanité dépend de la biodiversité, le Tiers-Paysage apparaît comme un trésor, recoins oubliés de la culture, qu’il faut apprendre à reconnaître et protéger.

(*) Invitant à faire école, une table ronde autour de Gilles Clément, Patrick Beaulieu réunira le 30 juin dans l’île d’Aix des acteurs de cette Ecole du Jardin Planétaire.